Sommaire des dossiers

Ces derniers moments si précieux...
Témoignage d'un médecin de Belgique



Les Pays Bas ont légalisé l'euthanasie et la Belgique débat vivement sur ce sujet.
Un médecin belge raconte comment il a vécu et accompagné les derniers jours d'une de ses patientes.

 

Une de mes patientes, Alice, âgée d'environ 70 ans, souffrait d'un cancer du poumon à évolution très rapide. Elle avait de plus de nombreuses métastases et tous les traitements qu'on lui avait proposés (chimiothérapie, etc.) n'avaient pas été très efficaces et l'avaient fortement affaiblie.

Quand elle entre dans mon service à l'hôpital, je me rends vite compte qu'elle ne connaît pas grand-chose de son diagnostic. On sent en elle une grande tension, car elle ne comprend pas ce qui se passe dans son corps. Et sa famille est dans l'anxiété, sans doute bloquée par l'impossibilité de pouvoir parler franchement et de laisser librement le coeur s'exprimer.

parler avec la malade et lui dire la vérité

Au bout de quelques jours, nécessaires pour faire mieux connaissance, il me semble que je pourrais parler avec la malade et lui dire la vérité. Je fais part de mon intention au mari qui m'en est d'emblée reconnaissant: il en ressentait la nécessité mais n'osait pas le faire lui-même.
Ce matin-là, avant de rentrer dans la chambre, j'ai un court instant de prière, pour être entièrement disponible durant cet entretien. A l'issue de la conversation, la patiente me remercie avec soulagement, à la fois parce qu'elle se doutait déjà du diagnostic et parce que les non-dits sont en fait terrible ment angoissants.

Je décide, à partir de ce jour-là, de passer la voir tous les jours, au moins pour lui dire bonjour, et je préviens le personnel hospitalier qu'Alice connaît
maintenant son état, afin que tous soient encore plus attentifs à ses besoins.
Le lendemain je vois que les membres de sa famille sont plus sereins. Alice A pu commencer à les préparer à son départ et à leur donner des conseils.
Quant à elle, elle se met à porter autour du cou une croix de bois, que je n'avais pas vue auparavant.

Pendant 15 jours son état reste stationnaire, comme un état de grâce, et elle ne souffre pas. Puis lentement la faiblesse s'installe et on augmente les doses de morphine dès que la douleur se fait sentir. Aussi ne se plaint-elle jamais de douleur mais plu tôt d'une fatigue intense; l'encombre ment trachéo-bronchique est évité par l'administration de scopolamine.

       " tout cela a assez duré "

Je dois m'absenter du service quelques jours pour aller à l'étranger et je l'assure que je reste avec elle en pensée.
Quand je reviens je la trouve encore plus faible, mais j'ai encore une Conversation cohérente avec elle. Puis son état se dégrade : elle ne souffre
pas et n'a pas de plaie mais elle dort de plus en plus et commence à tenir des propos incohérents et même parfois à délirer.

Elle est dans cet état lorsque des membres de sa famille manifestent Le désir de me parler. Je rencontre alors son gendre et son mari (qui est en fait son second mari: une fois veuve, elle s'était remariée avec un veuf, sans enfants, tandis qu'elle avait eu trois enfants de son premier mariage). Je les invite dans un salon pour être tranquilles.
Le gendre me déclare alors sans ambages que " tout cela a assez duré ".
Il estime qu'il faut faire une piqûre à sa belle-mère car " si elle se rendait compte de l'état dans lequel elle se trouve, c'est elle-même qui demanderait la piqûre ".
J'ai quelques instants de stupeur car, depuis 22 ans que j'exerce cette profession, je n'ai encore jamais vécu d'approche aussi brutale.
Je lui dis comprendre sa douleur mais qu'il ne faut pas confondre la douleur - bien compréhensible - de la famille, avec celle d'Alice.
Il ne m'écoute pas et sort du salon visiblement très énervé. Je reste seul avec le mari qui, jusque-là n'avait pas dit un mot. Il se met à pleurer et m'avoue qu'il n'est pas d'accord avec cette demande. Il voudrait simplement que son épouse les quitte de façon naturelle et sans souffrir.


Je le rassure puis le quitte en le laissant un peu seul... et je me rends dans la chambre d'Alice, pour voir si la réaction du gendre n'est pas due à une augmentation soudaine des souffrances de la malade, qui auraient pu apparaître au cours de la dernière nuit.
Car je lui a aussi promis de tout faire pour qu'elle n'ait pas à souffrir.
J'entre dans la chambre: elle dort. Elle a le teint des cancéreux, mais son visage est paisible.
Je la réveille doucement. Avant d'ouvrir les yeux, en émergeant de son sommeil, elle commence un Je vous salue Marie, puis elle s'interrompt en me voyant. Je lui prends la main et lui demande si elle souffre. De sa faible voix elle me répond que non, puis elle se rendort presque immédiatement et décède 72 heures plus tard, paisiblement.

Un entretien qui m'a marqué au fer rouge

Ce dernier entretien avec Alice est marqué au fer rouge dans mon coeur:
c'est comme si elle m'avait fait cadeau de son union avec Dieu. Comment expliquer, sinon, qu'au seuil de la mort, à peine éveillée, les yeux encore
fermés, elle commence à prier comme dans un réflexe ?

Les semaines qui ont suivi notre premier entretien ont dû être remplies De nombreux moments de prière et d'intimité avec Dieu; et la croix qu'elle portait sur la poitrine était comme le témoin de ce qu'elle avait décidé de vivre dans la dernière ligne droite de sa vie.

Quelques semaines après le décès d'Alice, j'ai la surprise de voir son mari venir à mon cabinet privé pour que je le prenne en charge médicalement.

Un don mutuel

Cette histoire m'amène à quelques réflexions: j'ai le sentiment que la manière extrêmement vindicative, et qui ne laissait place à aucune discussion, avec laquelle j'ai été sollicitée par le gendre était le reflet d'un phénomène de société. Le contexte actuel dans lequel évolue en Belgique le débat sur l'euthanasie y était sûrement pour une grande part. Il estimait que c'était un droit absolu pour lui que de demander un acte d'euthanasie.
Et pourtant cette demande était faite à l'encontre du désir du mari.
Peut-être sa place de second mari lui interdisait-elle de donner son avis dans la famille? Ou le gendre avait-il une telle ascendance sur les autres que personne ne pouvait s'exprimer ?

L'histoire d'Alice m'a en tout cas rappelé combien tous les moments d'une vie sont précieux, en particulier les derniers, pour celui qui les vit, mais aussi pour ceux qui sont autour.
Je crois qu'Alice et moi, nous nous sommes donné mutuellement la force de notre foi, et c'est probablement aussi ce qu'elle a transmis aux siens.

 

Jean-Paul DEWINTER ,médecin.

[publié par la Revue Nouvelle Cité, N° 441, février 2.001,
" Nouvelle Cité " est éditée par le Mouvement des Foccolari]
site web :
http://www.nouvellecite.fr

Pour en savoir plus "dossier euthasie"

 


Copyright © AVM 1997-2003. Tous droits réservès.  - écrivez-nous!