Comme venait le temps de dormir, une trappe s’ouvrit au plafond laissant passage au berceau et au fauteuil soulevés par une force invisible et à leurs occupants ainsi transporté dans une chambre à l’étage supérieur. Là rien ne manquait, tout était luxe, silence et paix. Une douce lumière blanche semblable à la clarté du jour éclairait sans chandelles. Une crédence supportait des flacons de parfum en cristal et des aiguières d’argent remplies d’eau chaude ou froide. Sur une autre tablette moins haute s’étalaient de multiples objets, dont certains même étaient alors inconnus, qu’une femme emploie à se parer. Auprès, des escabeaux portant des bassins de riche métal et de dimensions variées complétaient cet ensemble luxueux et confortable que l’on pouvait masquer par des rideaux.
     Un lit de milieu entouré de tapis précieux en fourrure invitait eu repos
avec à côté une corbeille destinée à la petite chienne. Toutes ces choses et mille autres, trop longues à inventorier même pour un notaire, ne déplaisaient pas certes à Françoise aux jolies mains vivantes, mais quelque chose la charmait, l’enchantait à un suprême degré, c’était un grand portrait de son mari. Ce portrait était vivant, oui, j’ose dire vivant, attendu que du matin au soir on voyait sur la toile le Croisé en action ou au repos. Au premier moment, la châtelaine du Palais du Menez-aux-Fées, car on pouvait en vérité l’appeler ainsi, avait voulut faire comme pour la tapisserie aux chiens, toucher le portrait de sa baguette. Hélas ! Roger disparut. Et pendant un long moment elle ne vit rien. Il réapparut par la suite, mais elle n’osa recommencer l’essai de la baguette par peur d’une punition plus sévère.
     Dès lors elle pouvait voir sur ce tableau Roger le Croisé en action, et ses faits et gestes étaient tous nobles, rien n’était susceptible de faire de peine à l’épouse. Parfois elle tremblait de le voir s’élancer contre les Sarrasins, mais elle était fière de son courage.
     Pendant que la vie s’écoulait ainsi à Menez-aux Fées, calme et douce au chant des oiseaux des volières et des bois, Roger avait pris part à moult combats et la Croisade terminée cheminait vers sa demeure. Enfin il aperçoit la tour haute sa monture pénètre dans la cour après une ultime cavalcade qui la met en sueur et même le flanc en sang. Du cheval à bout de souffle saute à terre le Croisé, et en coup de vent entre le maître au logis. La voix brève et autoritaire interroge l’intendante :
     “ Où est ma douce Dame, vite vite répondez, qu’il me tarde de l’embrasser ! ”
     A cette apparition la mégère pâlit et murmure tremblante :
     - “ Noble Chevalier je n’ai as voulu exécuter la sentence de la jeter au four avec ses jumeaux, par charité je l’ai déguisée pour lui permettre de fuir. ”
     - “ Misérable, que veut dire ceci ? mais d’abord de quel côté Françoise s’en est-elle allée ? ”
     - “ Je l’ignore, mon bon Maître… ”
Dédaignant d’en entendre davantage à cette heure, le malheureux mari et son compagnon changèrent en hâte de monture pour commencer les recherches.
     En chemin, Roger revit l’endroit du supplice de celle qu’il aimait et s’y recueilli dans l’espoir d’une bonne inspiration. Les cavaliers chevauchèrent toute la fin de la matinée plus une partie de l’après midi à travers bois. Alors le Seigneur Roger remarqua que des bandes de pigeons et de corbeaux se dirigeaient vers l’ouest, ce qui lui fit supposer l’existence dans cette direction de nouveaux “ convenants ”, avec des chaumières et des champs cultivés. “ Il se trouvera peut être là, dit-il à son écuyer, quelqu’un capable de dire s’il a vu Françoise. Impossible de ne pas remarquer une jeune femme si aimable et si bonne ! ”
     Un cours repos accordé aux chevaux, recommença alors une course à travers la forêt, difficile pour tout autre qu’un chasseur exercé à l’observation. De plus, un oiseau inconnu se montrait de temps à autre aux passages où ils hésitaient. Roger, convaincu qu’il s’était échappé d’une volière de noble Dame se décida à le suivre. Bientôt ils arrivèrent à un sommet de la forêt dégagé, d’où l’on apercevait de grandes étendues qu’il lui semblait n’avoir jamais vues. A quelque distance sur un autre sommet apparut un château ignoré, et tel qu’il n’en avait jamais contemplé au monde. Piquant des deux il franchit l’espace et pénètre en la cour.
     A cette approche, Françoise s’était travestie d’un coup de baguette en fille de service prenant soin des enfants qui jouaient dans le beau jardin. Leur père ne put d’abord s’exprimer tant l’émotion lui serrait la gorge. Ses yeux remplis de tristesse revenaient toujours à ces mains qui tenaient les enfants. La femme, au comble du bonheur, ne disait rien cependant. Au bout d’un temps de cet étrange silence de part et d’autre, Roger dit enfin : “ Je ne suis pas l’objet d’une illusion, malgré les apparences c’est vous n’est-ce pas ma douce Mie que je cherchais et pleurais ! ”
     -“ Noble Chevalier, répondit-elle, que votre Grâce se remette et abandonne en paix une obscure fille, par hasard il se pourrait que ma Maîtresse connaisse cette Dame dont vous parlez. ”
     Heureusement pour le Croisé les jeunes Seigneurs firent cesser cette épreuve d’amour que Françoise voulait imposer à son époux si longtemps supposé cruel, en effet ceux-ci s’écrièrent : “ Petite maman chérie, c’est papa, car il ressemble à ne se tromper au portrait qui bouge, et devant lequel vous nous faites prier pour lui chaque jour ”.
     Les mignons enfants venaient (quoique ignorant l’orthographe) de rétablir le trait d’union entre ces deux êtres. Car le voile de brouillard maléfique jeté entre les époux par les ruses de la méchante belle sœur et les mensonges de l’intendante complice s’était dissipé au soleil de l’amour.
     La vie devint charmante au Menez-aux Fées, surnommé Menez-aux-Oiseaux, et sur le conseil de l’Oiseau de Paradis Françoise jeta sa baguette désormais inutile dans la cascade. Roger chassait accompagné de sa femme, et bientôt d’amis, en attendant que les jumeaux puissent se hucher sur de vigoureux bidets de Briec. Les voisins aimaient cette maison hospitalière, et les pauvres la considéraient à l’égal de l’église comme une maison du Bon Dieu.
     La renommée du bonheur de Menez-aux-Oiseaux franchit bois et monts et parvint jusqu’au frère de Françoise malgré les soins qu’avait sa méchante femme de lui cacher ce qu’elle pouvait apprendre. Le malheureux était maintenant enfermé dans sa chambre, car ces années avaient vu accroître de façon inexorable l’épine enfoncée dans sa chair selon la prédiction de sa victime. Il n’osait plus sortir de sa chambre car elle atteignait maintenant la taille d’une branche, et il allait de mal en pis. Il résolut donc d’envoyer en secret de sa femme supplier Françoise de venir à son secours.
     Le bonheur n’avait pas comme il arrive parfois rendu celle-ci indifférente aux autres. Sur la même blanche haquenée avec laquelle elle visitait pauvres, malades et vieillards, elle partit. Introduite aussitôt son arrivée auprès de son frère, elle l’embrassa avant même qu’il ne prononce sa demande de pardon. Puis de ses mains repoussées elle enleva l’instrument du châtiment, et fit même disparaître la cicatrice de l’épine. Confondu le coupable se jeta à terre et embrassait le bas de sa robe. Mais elle souriante lui dit : “ Relève-toi cher R. , saute au coup de ta sœur au lieu de faire le chien craintif qui a peur de sa terrible Françoise, elle qui ne sait pas pourquoi ! ”
     Touché enfin de cette miséricorde et de cette grandeur d’âme, le malheureux découvrit le véritable auteur de ses malheurs, et prit la résolution de mettre fin à la faiblesse qui lui avait jusque là voilé les yeux. Il convoqua le Sénéchal de Carhaix et eut avec lui un long entretien. Ils ordonnèrent de dresser un grand feu et d’y jeter les instruments de sortilèges et de maléfices qui furent trouvés dans les coffres secrets de la méchante femme, pour voir comment elle réagirait. Mais comme le feu commençait à monter, celle-ci s’en approcha pour en apparence y ajouter un bois, mais elle se pencha pour attraper avec ce bâton une fiole. Brusquement le vent rabattit sur elle ses flammes, et elle périt. Certains assurent que l’Ankou par-là attirée l’avait poussée de sa faux, d’autres que le Diable était apparu dans un tourbillon de fumée et l’avait saisie, mais le grand-père de mon oncle le sabotier qui y était disait qu’il avait seulement entendu un cri strident.
     Françoise, que l’on avait retenue dans sa chambre , pleura de n’avoir pu de ses mains miséricordieuses sauver sa belle sœur ; car de son cœur si pur elle avait vu les enfants qui apparaissaient à leur mère, et entendu celle-ci pousser un cri de repentir.

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